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Te rappelles-tu ?

Au début, on se dit bonjour.
Tout simplement.
Et puis, un beau jour
Tu sors du lot des mamans.

A la sortie de l’école,
Je te revois, à l’aise avec tous.
Tu souris aux enfants, pour des bricoles,
Te baisses, les embrasses, douce.

Poignées de main aux parents.
Les enfants sortent en rang.
Mon fils est dans la classe du tien.
Ton mari a un vécu semblable au mien.

Je découvre que tu joues du piano
Soignes les oiseaux jeunots.
Tu lis abondamment,
Et jardines allègrement.

Curieuse de tout, tu apprends, avide :
Les hiéroglyphes n’ont pour toi aucun secret.
Tu reprends gentiment un guide
En Egypte qui en reste éberlué.

Tu pars en Inde ? Tu t’atèles au sanskrit
Parlé et même écrit.
Tu pars en Chine ? Même si c’est un peu tard,
Tu apprends le mandarin standard.

Quelle est cette fée
Qui s’est penchée sur toi
Lorsque tu es née
T’offrant tous les dons à la fois ?

Nous échangeons nos impressions
Sur des gens, catégoriquement,
Ainsi que nos admirations,
De quelque personnage de romans.

Nous nous connaissons à tel point
Que pour tout prologue et tout épilogue,
Même si ça remonte à loin,
« Tu te rappelles ? » suffit à nos dialogues.

Souvenir, lorsqu’il reste entier,
Fil de la vie et de ses amitiés ;
Lien de connivences entre hier
Et le futur dont on ne doute guère.

Tu te rappelles ? Tu te rappelles ?
Les années sont passées.
Et l’écho renvoie cette ritournelle,
Sur un autre ton prononcée.

Car l’esprit de mon amie
Est parti, ne laissant plus là
Que son corps en vie
Avec plein de tracas.

Avec ce qui te reste d’audace
Tu ris de ce qui t’embarrasse.
Tous ces mots vides de sens
Que tous ces gens se balancent.

Juste des bulles inintéressantes
Qui ne t’entraînent pas avec elles.
Et tu restes assise, toujours aussi belle
Mais, aussi, tellement absente.

Ton mari est là, plein de courage
Et, navré de ce naufrage,
S’occupe avec amour de sa femme
Redevenue enfant, c’est infâme.

Il t’annonce ma visite.
Et je crois bien que, sans ce rite,
Cou tendu, tête penchée,
Tu ne saches qui vient t’approcher.

Egoïste, il faut que tu me pardonnes,
Je préfère laisser de côté
La réponse que tu te donnes.
Mais je peux la deviner avec facilité.

Ton mari, avec plein de tact,
Te fait faire de menues tâches
Pour qu’au moins au présent tu t’attaches,
Que tu ne perdes pas contact.

Car ce présent qui, sitôt né, nous fuit,
Graine en devenir du futur,
N’est plus rien pour toi, tu t’y ennuies,
Tu ne saisis plus l’aventure.

Coincée entre un passé qui s’efface
Et un avenir sans espace,
Tu te réfugies vers de nouvelles activités :
Tu n’es pas avec nous, tu es à côté.

Tu cruciverbises,
Tu sudokuises.
Tu le tues ce temps,
Qui dure, à présent, si longtemps.

Pour profiter de toi,
N’attendre plus rien.
Juste savoir que tu es là
C’est déjà bien.

Mais comme il faut être forte !
Et à cause de l’amitié que je te porte
J’ai envie, avec tendresse, de te dire
« Je trouve que tu exagères de ce que tu nous fais subir ! »

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